Fonds des générations : ce système mis en place par le Québec pour une dette plus supportable pour les jeunes

Par  Vincent Bresson

Publié le 26/04/2024 à 17h45

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Pour éviter que les jeunes n'aient à supporter une dette financière trop importante, le Québec a mis en place en 2006 le Fonds des générations. L'ancien ministre des Finances, Michel Audet, en explique le fonctionnement.

Dans quel contexte financier avez-vous mis en place le Fonds des générations?

Quand je suis devenu ministre des Finances du Québec en 2004, je rencontrais chaque année les agences de notation. À cette époque, la dette de la province représentait autour de 40% du PIB du Québec. Même si c'était un taux d'endettement moins lourd que celui d'une grande partie des pays développés, cela restait important. Les jeunes militants du Parti libéral, mouvement dont je faisais partie, étaient très sensibles à cette question. Ils me disaient: "Votre génération nous laisse une dette qui risque d'être encore plus insoutenable au vu de l'état démographique du pays." J'ai répondu que j'allais réfléchir et revenir avec des propositions.


Qu'avez-vous fait?

Un système de Fonds des générations existait déjà en Alberta et nous nous en sommes inspirés. Cette province dégageait de l'argent avec ses rentes pétrolières et mettait une partie de ces revenus de côté. Au Québec, nous avons aussi des rentes, grâce à notre hydroélectricité, nos forêts et mines. Nous avons donc imposé à différentes entreprises le fait d'alimenter notre propre Fonds des générations. Les premières années, nous avons choisi de ne taxer que les exportations, pour ne pas créer de choc tarifaire pour les consommateurs. Il n'y a eu de grands débats sur cette question. De toute façon nous étions majoritaires au Parlement local.

Concrètement, comment cela fonctionne?

L'idée, c'était de faire un fonds qu'on ne peut pas toucher. Charge à la caisse des dépôts de le gérer pour lui faire atteindre un rendement autour de 7 à 8%. En sanctuarisant ce fonds, nous lui évitions d'être à la merci de toute pression politique. De fait, il n'était ainsi pas inclus dans la comptabilité gouvernementale. Et comme nous avions atteint un équilibre budgétaire de 2003 à 2008, cela constituait, en quelque sorte, une cagnotte. Aujourd'hui, le fonctionnement reste similaire, même s'il y a eu une exception récemment.

Laquelle ?

En 2022, le parti qui a remporté les élections a promis une baisse d'impôts de l'ordre de deux milliards de dollars canadiens et l'a financé en puisant dans cette cagnotte. Quelque part, ils ont rendu cet argent aux contribuables, donc même si ce n'est pas le sens initial de ce mécanisme, je préfère ça que de voir cet argent dépensé ailleurs.

Le résultat du fonds a-t-il été à la hauteur de vos attentes?

L'année après la création du fonds, je suis allé voir les agences de notation et elles ont réévalué notre note. Ce n'était pas que pour une question de montants économisés, cela montrait aussi l'attention que l'on portait à la dette dans notre politique. En 2024, le fonds devrait être alimenté de quatre milliards de dollars canadiens supplémentaires. En tout, nous avons mis vingt milliards de côté sachant qu'il "manque" dix milliards utilisé directement pour réduire la dette.


En matière de dettes, pensez-vous que les ainés ont une responsabilité morale?

Oui et c'est pour cette raison que ce mécanisme s'appelle le Fonds des générations. Nous avions lancé cette idée avec l'espoir que la dette reste supportable pour les jeunes. Comme leur proportion allait diminuer dans notre société du fait du vieillissement de la population, la dette risquait d'être encore plus lourde. Il fallait donc agir. Il y avait tout de même des critiques. Pour certains, nous aurions pu directement investir cet argent dans l'éducation par exemple, mais le projet a tout de même fait globalement consensus. C'est d'autant plus efficace que cette mesure est combinée à une loi d'équilibre budgétaire, qui pousse le gouvernement à ne pas être trop déficitaire.

Est-ce qu'en laissant la dette devenir incontrôlable on ne court pas, in fine, le risque d'alimenter un ressenti entre générations?

C'est exactement le raisonnement qui m'a mené à porter ce projet. Pourquoi une génération devrait rembourser une dette dont elle n'a pas vraiment profité? J'ai pris les devants car les analyses montraient qu'on allait avoir un vieillissement de la population et donc moins d'actifs pour payer une dette de plus en plus élevée. Ce n'est même pas un débat au sein des partis aujourd'hui, car on sait qu'on est protégé en partie par le fonds. Si nous sommes touchés par une crise majeure demain, nous pourrons l'utiliser au lieu d'emprunter à des taux d'intérêt très élevé. C'est une cagnotte pour éviter le pire à l'avenir, un mécanisme garantissant une sécurité financière. Il permet de devancer les crises.

D'autres pays comme l'Australie ont mis en place des systèmes proches du vôtre. Est-il nécessaire d'avoir des rentes liées aux ressources naturelles pour y arriver?

Plusieurs nations ont choisi d'investir dans le futur au lieu de dépenser leurs immenses rentes pétrolières. Nous, c'est principalement une ressource renouvelable qui nous permet ce mécanisme. C'est grâce à notre or bleu, l'hydroélectrique. Sans cette marge de manœuvre, je dois admettre que c'est difficile. Je sais que vous faites face à un défi un énorme en France et j'ai bien conscience que c'est complexe. Vous ne pouvez pas vous appuyer sur une rente de situation comme nous.

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